J’ai hanté le rêve d’autrui
enfant intérieur, ange ou démon ?
Aujourd’hui, cette nuit, j’ai hanté le sommeil d’un autre être humain.
J’y ai pris un malin plaisir, il faut que je vous raconte.
Dans le bus il y avait un enfant. Il y a plein d’enfants dans les bus. Six ans il devait avoir. Pas plus. Sur le siège devant moi. Assis, debout. De ses yeux pétillants, étincelants de curiosité, il m’observait.
Je l'observais aussi.
La vivacité dans le regard des enfants est merveilleuse, soif de vie, si pure, brute, que devient-elle en grandissant ? Qu’a-t-on donc fait à cette impétueuse volonté de vivre ?
Les responsabilités nous dira-t-on. Le poids du temps qui passe, l'existence qui tasse.
Mais chez l’adolescent déjà, il semblerait qu’elle s'amenuise, cette malice pleine de vie. Chez l’animal pourtant, semble persister.
J’étais donc là admirant cette irradiante joie de vivre. Nous jouâmes ensemble, rigolâmes, passâmes un beau moment, eûmes un bel échange. Non-verbal. Emouvant. Touchant. Dessus. Il s’est fait dessus.
Nauséabonde. Une odeur répugnante, enfantine, infecte, chaleureuse, se propageât progressivement dans toutes les rangées du véhicule.
Malgré l’affront, le commanditaire n’avait pas perdu de sa splendeur. Au contraire. Diablotin angélique, ange maléfique. Allégé d’un poids, son intensité n’était que plus intense, sa vitalité que plus vitale.
Comment lui en vouloir ? Je lui en voulais. Le trajet touchait à sa fin, semblait interminable.
Une fois arrivé, les affaires déposées et un diner sans intérêt, je regagnai mon dortoir. A peine rentré, une odeur abominable envahit mes sinus. Senteur d’excréments. Encore. Je crois devenir fou, je deviens fou.
Le regard accusateur, j’aperçois mon compagnon de chambre. Seul individu présent dans la pièce, coupable par défaut, suspect parfait. Coupable désigné. Ce soir-là, l’auberge était complète. Fatigué, épuisé, tard, trop tard, je me résignai à faire avec, à serrer les narines, passer outre, dormir, du moins essayer.
Plein de rage, et avec grand calme, je recouvris mon nez d’un t-shirt imprégné d’huiles essentielles, pour masquer le mal. Souci de survie, par raisons sanitaires, bien-être mental et dans l'espoir d'un sommeil confortable.
Alité, le nez barricadé, l’odeur m'assiégea, et s'aventura au-delà de mes tranchées, se déposa dans le fond de ma trachée.
Quand une troisième protagoniste entra en scène. Souriante, détendue, paisible, elle ne semblait point perturbée par la situation olfactive. L’observant ne transparaitre aucun signe de dégoût, aucune moue, je crus devenir fou.
L’oeil est une illusion, certes, mais qu’en est-il du nez ? Selon internet, nez sait tromper : suite à une exposition prolongée, une forte odeur peut revenir vous hanter. Génial.
La supercherie démasquée, réminiscence conscientisée, mes cavités nasales s'assainirent dans l’instannité. Plus de senteur, plus rien. Tromperie, par moi à moi, portée par vents cognitifs internes. Mirage. Oasis d'eaux usées sur fond de pâle désert d'odeurs sans intérêts.
Mon camarade de chambre n’avait donc commis aucune faute. Accusé à tort, finalement libre de charge. N'avait commis pour seule faute, d'être de mon agression imaginaire, l'auteur présumé.
Pour autant, ma rage envers lui, alimentée par biosynthèse olfactive, par compostage aromatique de molécules cognitives, ne pouvait aussi soudainement se dissiper. Elle, n’était pas hallucination, mais palpable, palpitait en mes veines. Le sort était déjà scellé, le mal étant fait, bien que je l’ignorais encore, colère réclamait vengeance.
L’odeur fictive désormais évincée, c’est avec soulagement que je m’endormis, m'en alla dans les bras, non pas de Morphée, mais plutôt du diable ; c'est chez lui que j’allai me réfugier.
Saviez-vous que le pauvre innocent fit un terrible cauchemar durant la nuit ? Terrifié, horrifié, il s’est mis à hurler, a du sortir brusquement de son lit, puis de la chambre, pour reprendre ses esprits.
Du haut de mon lit, hublement le superposant, j’assistais à la scène, moitié endormi, moitié éveillé. J’esquissai un sourire satisfait, allégé, je me rendormis.
Quel horrible rêve a-t-il bien a pu faire ? Je sais très bien ce dont il a rêvé. Je n’en ai aucune idée.
Habituellement, je ne me rappelle jamais de mes nuits, mais celle-ci, des résidus d'une trame me serait peut-être restée, je crois que, un diablotin enfouit en moi, se serait esquissé de moi en la pénombre sommelante, pour lui le coupable, le hanter.
Enchevêtrement de rêves et réalité, tout est flou, rien est clair, tout est limpide. J’ai un doute, j’en suis sûr, je ne suis sûr de rien.
Son cauchemar était-il réel ? Suis-je fautif ?
Parti à l’aube, nos chemins se sont séparés, nous ne saurons donc jamais, mais une chose est sûre : en y repensant, je ne peux m’empêcher de délicieusement sourire.
Alors si cette nuit là j’ai malencontreusement hanté votre sommeil mon cher Monsieur, sachez que je ne regrette rien, et que si c’était à refaire, je le referai.
Laisser son enfant intérieur s’exprimer, dit-on, c’est important, libérateur, et nécessaire.
Pas sûr qu’il fallait dire cela au mien :)